La Marche verte
Cette "Marche verte", ainsi nommée d'après la couleur sacrée de l'islam, exprimerait "le vœu unanime" du peuple marocain et imprimerait "en lettres d'or une nouvelle page de gloire" dans l'histoire de la nation.
Le roi s'engagea à prendre la tête des marcheurs qui auraient pour seule arme le "Livre Sacré d'Allah".
L'organisation que supposait le transport à travers le désert de 350.000 personnes venues des quatre coins du Maroc, le ravitaillement en nourriture, en eau et en fuel, et la fourniture de tentes semblait une gageure, mais le roi Hassan révéla que les préparatifs avaient commencé deux mois auparavant. Vraisemblablement, la marche aurait eu lieu quelle que fût la conclusion de la Cour.
Politiquement, c'était un coup de maître. Non seulement cette décision précipitait les événements, avant que l'Assemblée générale des Nations Unies ait eu le temps d'examiner les recommandations de la C.I.J. ou de la Mission de l'O.N.U., mais elle exerçait une pression déterminante sur l'Espagne. Au sein même du Maroc, elle ravivait l'atmosphère de djihad que le roi faisait régner sur son peuple depuis l'été 1974. Le peuple marocain fut littéralement séduit pas l'idée, et dans les trois jours qui suivirent le discours du roi, 362.000 Marocains se présentèrent pour s'inscrire à la Marche. Vers le 21 octobre, ils étaient 524.000.
A Madrid, le gouvernement espagnol fut consterné par le discours du roi Hassan, mais ne se détourna pas, du moins dans un premier temps, de son projet de référendum et de délégation de pouvoirs à un gouvernement sahraoui dirigé par le Front Polisario. Le Conseil des Ministres se réunit, sous la présidence du général Franco, le 17 octobre, pour examiner le nouveau défi lancé par le Maroc, et décida de demander la réunion du Conseil de Sécurité de l'O.N.U. Cette requête fut déposée le lendemain à New York par l'ambassadeur de l'Espagne à l'O.N.U., Jaime de Piniés.
Le lendemain, le gouverneur général en personne vint à Mahbes et conclut avec El-Ouali un accord stipulant que l'indépendance serait accordée dans 6 mois, après une période transitoire pendant laquelle les pouvoirs seraient progressivement transférés au Front Polisario. Dans un premier temps, les leaders du Front Polisario furent invités à entrer dans les villes ; Mahfoud Ah Beiba et Ibrahim Ghali se rendirent aussitôt à El-Aïoun.
Là, le 26 octobre, ils eurent d'autres discussions avec le général Gomez de Salazar, tandis que plusieurs milliers de Sahraouis venus du quartier populaire de Colominas se massaient dans le centre de la ville en arborant des drapeaux du Front Polisario. Les manifestations se poursuivirent pendant deux jours. "A la fin", dira Gômez de Salazar en évoquant ces dernières semaines de gouvernement espagnol, "le Front Polisario représentait le peuple sahraoui. La Djemaa avait perdu de son prestige, et c'était le Front Polisario qui façonnait la politique du peuple sahraoui".
Quant au Roi Hassan, il fut consterné par le concert de protestations émanant du Sahara occidental contre son projet de Marche. Donc, le 23 octobre, il lança à la radio un appel à "ses fidèles sujets du Sahara", en leur promettant de leur pardonner leurs erreurs passées. "Tous ceux qui se sont rangés du côté de l'Espagne ou ceux qui ont pris le parti du soi-disant "Front de libération" ont été tout simplement leurrés", déclara-t-il. "Revenez donc sur le bon chemin".
Plus de 500.000 Marocains se déclarèrent volontaires pour participer à la Marche verte, de sorte que les autorités de Rabat résolurent finalement de tirer au sort les marcheurs. Le 21 octobre, un premier contingent de 20.000 personnes partit en un convoi d'autocars et de camions de Ksar es-Souk, province pauvre de l'est du Maroc. Il arriva deux jours plus tard à Tarfaya, où un immense campement se formait peu à peu, à environ 25 kilomètres de la frontière du Sahara occidental, à mesure que les groupes de marcheurs arrivaient de toutes les provinces du Maroc.
Vers le 28 octobre, 145.000 d'entre eux étaient déjà arrivés. Sur le plan logistique, c'était une opération gigantesque. L'Office National de Chemins de Fer dut interrompre son service normal et affréter des trains spéciaux pour transporter les marcheurs jusqu'à Marrakech ; de là, on les emmenait vers le sud par la route. 7.813 camions et autocars, appartenant en majeure partie à des compagnies privées, furent mobilisés, ainsi que 230 ambulances et 470 médecins.
L'armée de l'air marocaine parachuta aux marcheurs des sacs de blé à Tarfaya, à l'aide des avions de transport C-130 que les Etats-Unis venaient juste de lui livrer, et comme il n'y avait pas de source d'eau fraîche à Tarfaya, il fallut apporter du nord, 23.000 tonnes d'eau, ainsi que 17.000 tonnes de victuailles et 2.590 tonnes de fuel. D'après le ministère des finances marocain, l'opération coûta 80 millions de francs français, mais les frais indirects furent probablement beaucoup plus élevés.
A Tarfaya, les marcheurs étaient soumis à une discipline militaire et se nourrissaient de pain et de sardines en boîtes.
Mais malgré ces conditions difficiles et les tempêtes de sable qui balayaient fréquemment le camp, il y régnait une atmosphère de vacances.
La plupart des marcheurs étaient des gens très pauvres. Nombre d'entre eux étaient des ouvriers agricoles saisonniers venus de la campagne, ou des jeunes chômeurs des villes. Là, on leur fournissait gratuitement de la nourriture et des cigarettes, et beaucoup d'entre eux vivaient bien mieux ici que chez eux. Certains, croyant qu'ils faisaient route vers une terre promise, étaient arrivés à Tarfaya avec toutes leurs modestes richesses, dans l'espoir de pouvoir s'installer au Sahara occidental à l'issue de la marche.